Témoignage sur Treblinka

Dossier n°

Témoignage sur Treblinka

Claude Lanzmann : Shoah (1985). La si douloureuse séquence du machiniste entrant en gare de Treblinka et se souvenant… De brèves images tellement explicites. Sans appel !!!

 

 

Chil Rajchman, Je suis le dernier Juif – Treblinka (1942-1943),
préface d’Annette Wieviorka,
Ed. les arènes, Paris, 2009, 152 p.

 

Maison d’Edition :

– « Chil Rajchman a 28 ans quand il est déporté à Treblinka en octobre 1942. Séparé de ses compagnons à la descente du train, il échappe aux chambres à gaz en devenant tour à tour trieur de vêtements, coiffeur, porteur de cadavres ou «dentiste». Le 2 août 1943, il participe au soulèvement du camp et s’évade. Après plusieurs semaines d’errance, Chil Rajchman se cache chez un ami près de Varsovie. La guerre n’est pas finie. 
Dans un carnet, il raconte ses dix mois en enfer. 
À la Libération, il est l’un des 57 survivants parmi les 750 000 Juifs envoyés à Treblinka pour y être gazés. Aucun camp n’avait été aussi loin dans la rationalisation de l’extermination de masse. 
Ce texte, publié pour la première fois, est unique. Écrit dans l’urgence, avant même la victoire sur les nazis, il s’inscrit parmi les plus grands.
Après la guerre, Chil Rajchman se marie avec Lila qui lui donnera trois fils. Il quitte la Pologne à la fin de l’année 1946 pour partir vivre en Uruguay. Il est témoin à plusieurs procès d’anciens SS. Toute sa vie, il conserve son texte avec lui et y revient chaque fois que sa mémoire lui fait défaut. Il meurt en 2004 à Montevideo en demandant à sa famille de publier son récit. »

 

Premières lignes :

– « Dans des wagons plombés vers une destination inconnue.Les wagons tristes m’emportent vers ce lieu. Ils viennent de partout : de l’est et de l’ouest, du nord et du sud. De jour comme de nuit, en toute saison : printemps, été, automne, hiver. Les convois y arrivent sans encombre, sans cesse, et Treblinka chaque jour prospère davantage. Plus il en arrive et plus Treblinka parvient à en absorber.
Nous partons de la gare de Lubartow, à quelque vingt kilomètres de Lublin.
Pas plus qu’aucun d’entre nous je ne sais où l’on nous conduit, ni pourquoi. Nous essayons d’en savoir plus sur le trajet. Les gardes ukrainiens qui nous sur­veillent ne font preuve d’aucune bienveillance et refusent de nous répondre. La seule chose que nous entendons d’eux est : «De l’or, de l’argent, des objets précieux !» Ces assassins viennent nous voir sans arrêt. Il n’est pas une heure sans que l’un d’eux ne nous terrorise. Ils nous harcèlent à coups de crosse, et chacun tente de graisser la patte de ces criminels afin d’éviter les coups.Voilà à quoi ressemble notre convoi. »

Rescapé de Treblinka, Chil Rajchman (Photo prise en Uruguay / DR).

 

Rocco Zacheo :

– « Je suis le dernier Juif constitue un cas particulier et rare dans l’ensemble de la littérature et des témoignages sur la Shoah. Il n’apporte pas de réflexions, il n’interroge pas l’expérience des camps, comme l’a fait avec l’arme du recul un Primo Levi. A l’instar des écrits de Calel Perechodnik et de Simha Guterman – les deux décédés lors de l’insurrection du ghetto de Varsovie – celui de Chil Rajchman a été rédigé dans l’urgence, alors que la guerre n’est pas encore éteinte et que l’auteur fuit de village en village, dans une Pologne dévastée. Rajchman écrit pour laisser au plus vite une trace de l’ignominie, parce que sa survie est un miracle qui se répète quotidiennement, dans ce périple qui le mène depuis Treblinka jusqu’à Varsovie.
C’est précisément l’ombre permanente de la mort qui confère au récit son ton économe et sa densité. Dès les premières pages, sans détours, on est au cœur des rouages de la machine infernale de Treblinka. D’entrée, il est question de ce hasard qui fait du déporté un mort certain ou, beaucoup plus rarement, un vivant en sursis. Rajchman a la chance du jeune âge de son côté. A la sortie du wagon, il est séparé de sa sœur et il est sélectionné pour faire le tri dans les montagnes d’habits et de chaussures qui jouxtent les chambres à gaz. Sous les coups incessants de cravache, assenés par les gardes ukrainiens et les SS, il est confronté aux rythmes hallucinés de ce lieu qui chaque jour élimine et efface de la terre des milliers de Juifs, essentiellement polonais. Durant les onze mois passés à Treblinka, le rescapé se réinvente en mentant sur sa profession. Son salut passe par là. Il sera coiffeur et tondra des femmes avant leur entrée dans les chambres à gaz. Il se prétend dentiste et cela lui vaudra un sursis supplémentaire: il arrachera désormais les dents en métal des gazés.
A chaque poste occupé, Rajchman décortique l’obsession de la hiérarchie du camp pour la bonne marche de sa mécanique. Aucun geste inutile ne doit enrayer la séquence de la destruction. Quelques mouvements de tondeuse ou d’ustensiles dentaires doivent suffire, car le flux de déportés est incessant et dépasse parfois les capacités de broyage du camp. A son démantèlement en octobre 1943, le site aura ainsi avalé entre 700 000 et 1 200 000 déportés. La règle du silence, en particulier avec des condamnés qui ont compris dans la plupart des cas ce que sera leur sort, est l’autre grande préoccupation des SS. La menace de la mort est suspendue au-dessus de tous ceux qui enfreignent cette règle. Car rien ne doit être dévoilé et aucune trace ne doit subsister après le génocide. Les SS le comprennent très vite: les fosses ­communes où s’entassent des centaines de milliers de corps décomposés, sont vidées. Rajchman est intégré dans les «Kommandos juifs» chargés de déterrer les restes et de les acheminer vers d’immenses grils pour être incinérés. Il travaille vite et bien, considère un garde. Cela le soustraira à maintes reprises à une exécution qui touche chaque jour les deux tiers des témoins qui transportent les cadavres. »
(Le Temps Livres, 7 février 2009)

(Photo DR).

 

Nathalie Levisalles :

– « Ce texte aurait pu être publié il y a soixante ans. Ce texte aurait pu ne jamais être publié. De tous les témoignages sur la machine d’extermination nazie, c’est un des plus exceptionnels, écrit avant la fin de la guerre, quand la machine fonctionnait encore, par un homme qui a été à la fois un témoin et une victime survivante. Ce document d’à peine 120 pages est aussi un récit animé d’une stupéfiante force littéraire. Je suis le dernier Juif. Treblinka (1942-1943) a été écrit en 1944 par Chil Rajchmann, né à Lodz en 1914, déporté à Treblinka en 1942 et mort en Uruguay en 2004. Il est aujourd’hui publié pour la première fois, et c’est en France.
(…)
Le récit de Rajchmann est violent, juste, sans recherche d’effets. L’ironie qu’on y trouve parfois semble un écho de l’ironie collective des prisonniers, quand il rapporte les surnoms – «l’artiste», «la poupée» – ou dans sa manière de ne jamais dire un nazi, un type, mais «un assassin», comme dans : le commandant fait son entrée, «un assassin grand et gros d’une cinquantaine d’années». Le texte a une beauté atroce, comme un tableau de Bosch, il est porté par la force de ce que Rajchmann veut dire et par l’impulsion de ce moment unique où il vient d’échapper à l’enfer et n’est pas sûr d’y avoir échappé définitivement.
Le livre s’ouvre sur une préface particulièrement intelligente, sensible et informée de l’historienne Annette Wieviorka. Le texte de Rajchmann, écrit en yiddish, est rendu en français dans toute la précision de sa violence par la traduction de Gilles Rozier. Des choix qui découlent d’un long travail éditorial. De même, l’éditeur du livre, Jean-Baptiste Bourrat, a pris le temps de faire toutes les vérifications historiques nécessaires. Les affaires Wilkomirski et Defonseca (Survivre avec les loups), notamment, ont montré que la fabrication de faux était un des risques de ce champ éditorial. Il était particulièrement important de faire ce travail de validation sur ce livre surgi de nulle part, et son itinéraire a fini par être reconstitué. »
(Libération, 22 janvier 2009).

 

Claude Lanzmann : Shoah (1985). La si douloureuse séquence du machiniste entrant en gare de Treblinka et se souvenant… De brèves images tellement explicites. Sans appel !!!